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Du néo-impressionnisme chez les peintres de l'Ecole de Rouen

 Du néo-impressionnisme chez les peintres de l'Ecole de Rouen

Charles ANGRAND - la Seine à Courbevoie (détail)
Charles ANGRAND - la Seine à Courbevoie (détail)

Au plein cœur du mouvement impressionniste, et partageant sa vie entre Paris et Rouen, Albert Lebourg (1849-1928) fut un exemple pour la première génération des peintres de L’école de Rouen, qui cultivèrent cette technique d’expression toute leur carrière durant (1), bien que ce mouvement devienne moribond dès 1900 voire désuet après 1914. Mais, quelques-uns, à l’écoute de l‘avant-garde parisienne, se tournent vers le néo-impressionnisme naissant, devenant pour l’heure à leur tour au plein cœur de la modernité, évoluant et travaillant dans et pour la mouvance de cette dernière.

(1)    Lemaître, Frechon, Vignet, Delattre, de Bergevin.


Par néo-impressionnisme, on entend généralement pointillisme, c'est-à-dire juxtaposition de petits points de couleurs, procurant alors à la composition, une lumière, une subtilité, que la touche traditionnelle, construite à base de mélange de tons (de couleurs), ne parvient nullement à rendre. Mélange classique de tons qui, s’il est quelque peu désordonné, tourne alors vers un brun peu engageant. On parle également de divisionnisme : “ division ” de la touche, chaque touche de pinceau étant bien séparée de celle voisine, et “division” du ton, chaque couleur étant une primaire du spectre chromatique (bleu, rouge ou jaune). Les complémentaires (violet, orange, vert) naissant de la fusion des points colorés voisins les uns des autres, fusion que fait l’œil à distance (cqfd !). 

Georges SEURAT (1859-1891), le chantre du néo-impressionnisme, s’emploie à un divisionnisme rigoureux : division de la touche (petits points) et division du ton (primaires). Ses disciples proches (SIGNAC, LUCE, CROSS, DUBOIS-PILLET, VAN-RYSSELBERGHE… et notre cher ANGRAND) adaptent la technique fastidieuse à leur caractère, élargissant la touche au fil du temps, et incorporant des complémentaires au fur et à mesure.

Charles ANGRAND (1854-1926), intime de SEURAT et plantant régulièrement son chevalet près du sien, adopte un pointillisme à la trame plus ténue, plus concentrée, y ajoutant de surcroît des complémentaires comme le vert. Il incite ses amis Charles FRECHON et Joseph DELATTRE, restés à Rouen, à se convertir à “la méthode” dans des échanges de courrier très incisifs.

Charles FRECHON (1856-1929) s’y risque quelques temps, ne maintenant de “la méthode” que la division de la touche, les tons complémentaires et intermédiaires restant présents. Ses toiles y gagnent en puissance et en caractère propre, reconnaissable. Il est, à cet instant, à la pointe des recherches picturales de son époque. Après la mort de SEURAT, et l’étiolement du groupe néo-impressionniste (Charles ANGRAND s’en retournant dans son Pays de Caux natal), 

Charles FRECHON élargit sa touche, la “virgule”, mais rejoint un impressionnisme élégant et capiteux, que les Historiens de l’Art jugent un peu tardif.    

Charles FRECHON - jardin (détail)
Charles FRECHON - jardin (détail)

Néanmoins, il conservera toujours de petits points rouges carmin qui émaillent ses ombres et ses parties en contre-jour leur conférant ainsi une profondeur considérable.

Joseph DELATTRE (1858-1912), enfant terrible de L’École de Rouen, sensible aux propos convaincants de son ami Angrand, s’y soumet également, de façon toute fois plus fugace que Charles Frechon. La lenteur de ‘la méthode’ ne convenant que peu à notre artiste bouillonnant, Joseph Delattre n’y consacre qu’une demi-poignée d’œuvres, avant d’abandonner.

La cote des œuvres découle de leur édification en phase avec la modernité de leur époque. Un rapport de 1 à 5 peut être établi. Ainsi, la Seine à Courbevoie de Charles ANGRAND (hst sbd 50x65 coll. Larock) pointilliste, peint en 1888 aux cotés de SEURAT, a vu un record de 677 000 € (Sotheby’s Londres - juin 1998) avec une estimation en 2008 supérieure à un million d’euros, alors qu’un ANGRAND “impressionniste” se situerait entre 50 et 200 000 €. On peut s’attendre à un même rapport de 1 à 5 pour un FRECHON (Rouen sous la neige (hst sbg Ch. FRECHON 1889/90 coll.part.) à 33 000 € (Rouen avril 2004), ou un DELATTRE néo-impressionniste, alors qu’une œuvre classique se vendait entre 7 000 et 15 000 € (2).

(2)    Prix “au marteau”, hors frais, convertis en euros et arrondis à la centaine la plus proche.


Voilà de quoi comprendre les prix, et évaluer de leur pertinence. L’œil et le sentiment provoqué aboutiront toujours au meilleur choix. Le passage à l’acte d’achat, quant à lui, ne doit jamais éluder une recherche historiée et argumentée.


Hubert Priaucey

 

Sources : archives personnelles, artprice, auction.fr,  Bénézit, ouvrages Lespinasse.


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