Interview de Madame Marie-Claude COUDERT
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Marie-Claude COUDERT devant les portraits de Pierre HODE de l'Exposition du MBA |
Attachée de Conservation au Musée des Beaux-Arts de Rouen et
chargée de Documentation et Edition, Marie-Claude COUDERT est l'auteur de
nombreux ouvrages d'Art.
Elle s'est fortement impliquée dans cet hommage rendu à Pierre
HODÉ. C'est ainsi que notre Association travaille depuis plus d'un an avec
Marie-Claude COUDERT, sous l'autorité de Sylvain Amic, Directeur des Musées de
ROUEN, à la réalisation de cette exposition.
Et, lors de notre entrevue, Madame COUDERT nous a fait part de
son attirance pour les portraits mis en page par Pierre HODÉ.
Pierre BUYCHAUT: je
sais que vous êtes très sensible aux portraits composés par Pierre HODÉ.
Marie-Claude
COUDERT : nous sommes très heureux de pouvoir présenter une section de
portraits par Pierre HODÉ car la figure humaine, est absente dans la quasi-totalité
de son œuvre !
Et cependant, on voit,
avec les 4 œuvres accrochées ici, que Pierre HODÉ est un excellent
portraitiste ! Mais un portraitiste très singulier dans la mesure où il ne
recherche pas le détail physique caractéristique de son modèle, mais qu'il en
révèle la personnalité par le choix de la technique picturale qu'il adopte.
PB : expliquez-nous
cela ?
MCC : regardez les 2 œuvres sur papier, son
autoportrait et le portrait d'Alice TORCHY sa filleule ; dans le premier,
à la sanguine, le visage buriné est traité de manière cubisante dans la
répartition du volume par plans, alors que celui d'Alice est un dessin vraiment
ingresque, tout d'abord par le choix du papier vergé, et puis par le modelé au
crayon noir, les courbes souples, enfin toute la féminité et la grâce du modèle
révélées par le choix de la technique.
PB : et
les 2 huiles ?
MCC : Tout
d'abord le sublime portrait, d'un format important, du boxeur Fred BRETONNEL,
une gloire des rings des années 1920 et qui a mis fin à ses jours en 1928.
Nous sommes en face d'un
personnage sombre tourmenté. Les coloris sont bruns et le fond clair fait
ressortir les plages lumineuses du visage, lui traité en plans découpés très
cubisants.
PB : mais
ce ne sont pas les facettes cubistes de PICASSO par exemple...
MCC : avec Pierre HODÉ, le Cubisme n’est jamais
loin, mais lui-même ne se revendiquait pas peintre Cubiste ! Il se savait
dans la mouvance et, à l'instar de son approche du Fauvisme, il capte ce qui
l'intéresse pour en faire son "miel". Ce qui fait son style
personnel.
Ainsi, dans ses portraits, il n'existe pas de déformations du
modèle, mais simplement une épuration des formes qui se réduisent à des figures
géométriques simples. De plus, la perspective est respectée.
PB : considérez-vous
Pierre HODÉ unique dans son genre ou peut-on le rapprocher d'autres peintres et
je pense à METZINGER (Jean METZINGER 1883-1956 NDlR)
MCC : METZINGER ou LA FRESNAYE (Jean DE LA FRESNAYE 1885-1925
NDlR), peut-être... Mais je crois que Hodé est assez unique en son
genre. Et cette manière de traiter le sujet se retrouve dans toutes ses œuvres
quel qu'en soit le thème ! En fait, il construit toujours son œuvre de
manière architecturée très stricte, en équilibrant l'importance des formes – de
leur surface – et des valeurs – c’est-à-dire des couleurs claires et foncées –
et composant toujours à partir d'éléments réalistes identifiables qui donnent
au tableau son caractère et son sens. Pourtant cela n'est jamais une construction réaliste.
Cette approche lui est totalement personnelle !
PB : enfin,
quatrième portrait de structure de nouveau différente, "Le Buveur"..
MCC : pas
tant dans la structure que dans le sens à donner à l’œuvre. Comme je vous
l'expliquais précédemment, le choix de la technique révèle l’identité profonde
du personnage représenté, sa personnalité profonde, que l'on reconnaît sans que
le peintre ait recours à tel ou tel artifice physique, si je puis dire !
PB : et "Le
Buveur" est-il donc réellement un portrait ?
MCC : eh bien,
non !
Car ce n'est pas une
personne identifiée et identifiable, c'est une typologie : Le Buveur
attablé au bistrot ! On sait que HODÉ a tenu un café à Honfleur à partir
de 1924 et qu'il fréquentait ce monde.
Il représente une figure
humaine, cette fois-ci en buste, découpée en plans très géométriques et, pour
le coup, très proche de DE LA FRESNAYE. Quant au paysage d'arrière-plan, Pierre
HODÉ ne cherche pas à le déterminer.
PB : c'est
donc un portrait dépersonnalisé ?
MCC : je ne crois
pas qu’il s’agisse d’un portrait même d’un portrait allégorique car HODÉ fait
avant tout œuvre de peintre, c'est à dire qu'il agence formes et couleurs.
Partant de là, il ne cherche pas à insuffler des conceptions sociologiques ou
moralisatrices, ou même psychologiques : l'aspect plastique, uniquement,
compte.
PB : en allant plus avant, pourrait-on parler
d'autoportrait, puisque l'on sait que Pierre HODÉ fréquentait le monde des
bistrots ?
MCC : Non,
c'est abusif ! Il est impossible de reconnaître le modèle ! Or, c'est une
œuvre très aboutie, l'une des plus abouties. Si HODÉ s'est pris comme modèle,
c'est plus comme un exercice du traitement de la figure humaine, comme un pianiste
fait ses gammes.
PB : cette salle d'exposition pour les portraits de Pierre Hodé
se prête à merveille, puisque nous sommes dans la Salle Jacques-Emile BLANCHE,
portraitiste universellement reconnu pour la justesse de son rendu
psychologique.
MCC : alors,
Jacques-Emile BLANCHE était un véritable portraitiste qui rendait fidèlement
les traits et caractéristiques de ses modèles. Ce qui l'intéressait, était de
révéler leur personnalité et, pour cette raison, il a reçu beaucoup de
critiques de la part de modèles qui ne voulaient pas se voir tel qu'ils étaient
en réalité, alors que ses contemporains reconnaissaient la véracité de sa
perception.
Une chose est certaine,
Pierre HODÉ n'a pas réalisé de portraits de commande. Y compris celui de Fred
BRETONNEL, car HODÉ était un fan de boxe et amateur lui-même et il devait bien
connaître Jean BRETONNEL, frère aîné et entraîneur de Fred.. Il n'a donc pas
résisté au plaisir de faire le portrait du tout nouveau champion
d'Europe ! D'autant plus que le visage d'un boxeur, avec tout ce qu'il
peut comporter comme déformations dues aux ecchymoses d'un combat, incite au
traitement cubisant par un peintre de cette mouvance
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Pierre HODE - GUÊPE 37 ( 55x38-coll.part. et les REMORQUEURS ( 80x100 -1923) - don en 1979 au MBAR de Pierre DUCENNE, fils de P. HODE |
PB: D'autres
portraits de buveurs sont représentés dans les scènes de café peintes par HODÉ
à Conflans-Ste-Honorine. Nous en avons 2 exemples ici.
MCC : C'est
exact : 'Guèpe 37' (55x38, coll. part., NDR) et 'Les remorqueurs' (80x100,
1923, don en 1979 du fils de Pierre HODÉ, Pierre DUCENNE, au Musée des Beaux-Arts
de ROUEN, NDlR).
Ici, les 2 buveurs, les 2
mariniers, ont un regard. Un regard intéressant, car ils se trouvent à
l'intérieur du café comme on peut le déduire de l'enseigne inscrite à l'envers
sur la vitrine. Les mariniers portent leurs regards sur nous-mêmes spectateurs,
qui nous trouvons, de ce fait, immergés également à l’intérieur de ce café. On
retrouve, de plus, l'inclusion de textes, ce qui est très moderne et très proche
de Juan GRIS (peintre cubiste 1887-1927, NDR), qui fut, il ne faut pas
l'oublier, un ami très intime.
PB : Je
crois, d'ailleurs que vous tenez une anecdote à ce sujet.
MCC : Oui,
oui...Juan Gris possédait un charme fou, un vrai séducteur ! Quand il était
invité chez les HODÉ, et qu’Alice TORCHY, la filleule de Pierre HODÉ, faisait
la vaisselle, Juan GRIS lui racontait des histoires qui la subjuguaient à tel
point qu'afin de prolonger le plaisir et éviter de l’interrompre, Alice
refaisait la vaisselle plusieurs fois de suite!
Belle anecdote qui prouve
bien l'amitié de Pierre HODÉ et de Juan GRIS, et qui m'a été racontée par la
famille.
Certes, Pierre HODÉ est
rattaché à "L'École de ROUEN" car né à ROUEN, et qu'une partie de son
œuvre concerne notre ville, mais il a fréquenté un milieu essentiellement
parisien. Et, contrairement à la plupart des artistes de l'École de ROUEN,
Pierre Hodé n'a pas peint 'sur le motif', à part, peut-être, ses tout premiers
croquis. C'est vraiment un peintre d'atelier.
PB : pour
en revenir à ces intérieurs de café, peut-on dire qu'il y a également quelques
messages ou éléments d'identification cachés de la part du peintre, comme ce
calendrier à feuilles volantes découpé par le bord de la toile, qui
donnerait un semblant de datation, juillet 1925, ou ce drapeau belge ?
MCC : à mon
avis, ces drapeaux sont des jeux de coloriste, comme ces cheminées de
remorqueurs avec les couleurs des compagnies. Peut-être est-ce une manière
d'évoquer l'odeur de genièvre des estaminets du nord ?
Dans le second tableau
("Remorqueurs" de 1923), Pierre HODÉ amène une mention plus explicite
avec le journal "L’Œuvre", ainsi qu'avec les jeux de cartes et de
dominos, typiquement des jeux de café, sans parler de la pipe et de la bouteille.
C'est incontestablement une référence à la tradition de la Nature Morte
hollandaise.
PB : Une
vanité ?
MCC : Oui,
c'est une référence aux 5 sens.
PB: Pas
la perversion de la boisson ou des jeux ?
MCC : non, je
ne crois pas. Uniquement les 5 sens : le goût, l'odorat, le toucher, la
vue et l’ouïe avec le choc des dominos entre eux sur le tapis vert !
Peut-être également l'argent derrière les jeux de cartes.
PB : selon
vous, quelle est la meilleure période de création de Pierre HODÉ ?
MCC : les années 1920 qui
constituent le temps fort de son œuvre !
PB :
HONFLEUR ?
MCC : Il est
arrivé à Honfleur pour des raisons pécuniaires. La vie à Paris était devenue
très difficile et la gérance de son petit café lui donnait plus d’indépendance
financière et donc plus de liberté pour son art. D'autre part, sur les cartes
postales des décors qu'il a réalisés pour le café de Paris et ceux de l'Hôtel
du Cheval Blanc, on voit vers quels motifs il se dirige. Ce sont des décors
très audacieux ! Regardez cette esquisse au crayon graphite, figurant
l'arrière-plan du port, les éléments du voyage, les noms d'artistes et
d'écrivains liés à ce thème et à celui de "L'ailleurs" avec le globe
terrestre et la longue vue. On y retrouve sa manière très structurée de
composer. C'est également à cette époque qu'il réfléchit aux
décors synthétiques pour le théâtre.
Malheureusement, Pierre
Hodé, de santé très fragile, disparaît alors que sa peinture s’orientait vers
quelque chose de très intéressant. Après avoir reçu une commande pour
l'Exposition Universelle de 1937, on le voit se diriger une abstraction
beaucoup plus radicale, dans laquelle il intégrait toutes les influences qu'il
avait volontairement puisées à la fois chez Juan GRIS ou chez Fernand LÉGER,
notamment dans les signaux de l’univers ferroviaire et les signalétiques
urbaines. Il aurait, probablement approfondi ses recherches dans
cette voie.
PB : parlez-nous
de cette exposition de 1937.
MCC : Conservée
aux Archives des Musées Nationaux, se trouve une lettre rédigée par Robert
DELAUNAY qui montre bien que c'est ce dernier qui a posé sa candidature en
1936 ! Il écrit alors : « Ce n’est plus un secret que presque
tous les artistes tirent la langue ! ».
Lorsque Léon BLUM est
arrivé au pouvoir, il a demandé à ce que l'on fasse appel en priorité à des
artistes au chômage. Et, compte tenu de la sensibilité artistique de Léon BLUM,
les décors cubistes ou abstraits furent privilégiés. De plus, il fallait faire contrepoids
aux 2 grosses « pâtisseries » néo-classiques, et même passéistes dans
leur conception : le pavillon de l'Allemagne et celui de l'Union
Soviétique ! Albert SPEER, proche de HITLER, était l'architecte du
pavillon germanique, et BORIS IOFAN, (1891-1976, NDlR), pur représentant de
l’architecture stalinienne, celui de l'URSS. Le mot d'ordre
était de faire de PARIS une Ville-Lumière, une ville de la couleur.
Dans sa lettre de
candidature, Robert DELAUNAY énumère un certain nombre de travaux qu’il a
réalisés, dont un décor privé pour un certain Docteur VIARD, l’un des
principaux mécènes de Pierre Hodé. Et je pense que c’est le Docteur VIARD qui a
suggéré le nom de Pierre HODÉ à DELAUNAY.
portrait
du Dr VIARD
PB : les 2 peintres sont-ils resté
en contact par la suite ?
MCC : une
lettre de Pierre HODÉ à Robert DELAUNAY de cette qui utilise le tutoiement
témoigne d’une certaine intimité artistique. Je n'en sais pas plus car je
n'ai pas retrouvé de lettre officielle de commande, ni dans les Archives des
Musées Nationaux ni à la Bibliothèque KANDINSKY. En revanche, j'ai retrouvé la
somme qui a été payée aux artistes, règlement calculé en fonction de
l'importance de leurs travaux, uniquement, approche très égalitaire.
PB : quelques
mots sur les compositions "à la cible" ?
MCC : elles sont
vraisemblablement de la même époque...
PB : pourtant données autour de 1922...
MCC : A mon
avis, et comme il apparaît lorsqu’on les rapproche de l’esthétique des œuvres
du Pavillon des Chemins de Fer (y compris celles de DELAUNAY), elles sont un
peu plus tardives ! Ces grands aplats de couleur des compositions "à
la cible" se retrouvent dans les recherches de Pierre HODÉ pour la
réalisation des décors de 1937.
PB : les
fameux "RYTHMES Mécaniques".
MCC : Pierre
HODÉ a réalisé 2 panneaux pour le décor du Pavillon des Chemins de Fer de
l’Exposition Universelle de 1937. Il a choisi la "Locomotive 3615"
qui existe vraiment, dont on a une photo "mise au carreau" par HODÉ.
Les toutes premières esquisses sont relativement réalistes et précises, puis il
épure sa vision au fur et à mesure que ses recherches progressent. Au sein des
éléments mécaniques de la locomotive, il intègre des signalisations colorées
chères aux compositions de Fernand LÉGER. Comme pour le modelé noir et blanc
des tuyauteries. Le fonds, quant à lui, est assez neutre dans les premières
pensées. On remarque, dans l’œuvre définitive, une présence beaucoup plus
massive de la couleur. Ce qui avait dû lui être spécifiquement demandé, à mon
avis, afin de répondre au programme général imposé aux artistes.
Propos recueillis par Pierre BUYCHAUT
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Pierre HODE-RYTHMES MECANIQUES -HST - extrait de l'ouvrage de F.LESPINASSE -P.HODE-Planète Graphique-2014 |