De l'exposition japonaise de peintres de l'Ecole de Rouen
5 oeuvres de R.A.P. PINCHON accrochées... |
Dans deux articles
précédents de sa rubrique (1), notre
collaborateur Hubert PRIAUCEY vous a fait partager le voyage de nos Peintres de
L'École de Rouen au Japon (Albert LEBOURG, Léon-Jules LEMAITRE, Charles
FRECHON, Joseph DELATTRE et Robert-Antoine PINCHON),
(1) - 1er article
publié le 26/10/2014 - 2ième article le 06/11/2014 - dans
la catégorie la rubrique de H.PRIAUCEY
Il vous présente
ci-dessous, dans un troisième papier, les impressions qu'Annette HAUDIQUET (2),
Directrice du Musée André MALRAUX du Havre et commissaire de cette exposition
itinérante (en collaboration avec BRAIN TRUST INC. TOKYO), a bien voulu lui
confier à votre intention.
Nous lui adressons nos plus sincères remerciements.
Écoutons-la répondre aux questions d'Hubert.
(2) - Annette HAUDIQUET
possède un DEA Histoire de l'art ; elle intègre le Musée de
Calais dont elle devient le Conservateur en chef en 1993 ; Musée du Havre
en 2001 ; en 2004, elle accueille la donation SENN-FOULDS.
Annette Haudiquet (photo G.OLIVIER) |
La commande japonaise était très vague : quelque chose sur la Normandie et sur l'Impressionnisme !
Mais tout le monde veut
traiter de la Normandie Impressionniste et je leur ai suggéré
qu'il fallait raconter une histoire plus large. Or, en 2009, avec les Musées de
Caen, Rouen et Le Havre, nous avions déjà fait cette démarche (Voyages
Pittoresques - ndlr), sur laquelle nous nous sommes reposés cette
fois-ci. Et en y ajoutant Raoul DUFY qui est, pour moi, le Peintre de
l'Estuaire de la Seine ! Comme BOUDIN auparavant.
H.PRIAUCEY : alors
cette histoire ?
AH : elle
débute avec les Anglais et les Romantiques (1815-1820) pour se terminer avec
la Photographie Contemporaine, en passant par l'Impressionnisme,
le Fauvisme et donc l'École de Rouen qui se situe à la charnière des
deux.
HP : Comment
vous est venue l'idée d'incorporer l'École de Rouen?
AH : Ce
sont les œuvres que j'avais repérées en 2010 au Musée de Rouen lors de Normandie
Impressionniste. Dès lors, j'ai demandé vos coordonnées à Sylvain AMIC
(Directeur des Musées de Rouen). Et puis, j'avais travaillé avec Bernay et
Cédric PANNEVEL (Directeur du Musée des Beaux-Arts de Bernay - ndlr) m'a
également orienté vers votre Association, dont il m'a vanté la générosité de
vos prêts.
HP: quelle
place leur accordez-vous dans l'exposition ?
AH :
à mon avis, ils ont un parcours parallèle à Félix VALLOTTON et les premières
œuvres de FRIESZ et même DUFY. On est à la charnière du XIXème et
du XXème siècle et ces peintres s'affranchissent du traitement
particulier de la lumière pour se tourner vers la couleur. Ce qui est encore
plus manifeste chez VALLOTTON, avec un travail de simplification, travail,
d'ailleurs, qui ne s'effectue plus sur nature mais à l'atelier, c'est à dire de
mémoire ou à partir de photographies !
Félix VALLOTTON |
HP : d’où
votre choix du fauve PINCHON, plus que des impressionnistes LEBOURG
et FRECHON...
AH :
alors, il faut bien comprendre que cette histoire, cette exposition,
s'étale sur presque deux siècles puisque l'on part de 1820 à aujourd'hui.
D'autre part, les lieux d'exposition ne sont pas très larges, en tout cas celui
du SOMPO de Tokyo. Ces deux critères ont fait qu'il a fallu resserrer le propos
et élaguer à plusieurs reprises. J'ai beaucoup insisté pour que L'École de
Rouen marque la transition Impressionnisme – Fauvisme.
HP : J'aurais
tendance à penser que vos confrères japonais ne connaissent que très peu, voire
pas du tout, notre École de Rouen. Quelles ont été leurs réactions ?
AH :
eh bien, là-bas sur place, ils ont vraiment été saisis !! Ils ne
connaissaient pas PINCHON, et ça les a vraiment sciés !! Donc mon choix
les a convaincus. Et mon homologue du SOMPO, Madame Shôko KOBAYASHI, m'a fait
part de son saisissement en découvrant, de visu, les œuvres de PINCHON. Plus
que celles de FRECHON. Cela vient du fait qu'ils aiment beaucoup l'art, et
surtout les compositions colorées. De la même façon, ils ne croyaient pas du
tout à Henri de SAINT-DELIS et c'était intéressant à recontextualiser aussi
dans son époque et dans son parcours.
HP : et
votre choix en général ?
AH : plus
de la moitié de l'exposition vient de collections publiques normandes et donc
c'est une vraie promotion de notre patrimoine régional ! Cette expo débute
par deux textes sur le Musée du Havre et celui de Honfleur, qui sont les deux
plus gros prêteurs avec près de 17 œuvres chacun (l'AER prête 12
tableaux : 10 de l'Ecole de Rouen + 1 BOUDIN + 1 LAPOSTOLET - ndlr) et qui
sont, de plus, de part et d'autre de l'estuaire de la Seine, sujet de
l'exposition !
J'ajoute, pour anecdote,
que ''l'estuaire'' est totalement exotique pour nos confrères japonais.
C'est une donnée géographique inconnue pour eux : un fleuve remonté par la
mer, ce que cela autorisait et interdisait par la même frontière que cela peut
représenter, la voie de pénétration vers la capitale... C'est un sujet qu'ils
ont choisi.
Ils attendent 40.000
visiteurs pour la 1ère étape à Tokyo, visiteurs qui vont découvrir sur les
cartels les noms des Musées prêteurs du Havre, de Honfleur, de Rouen, de Caen,
de Trouville, de Bernay, etc... et donc une réelle densité de patrimoine
normand. Et que cela leur donne envie de découvrir les vrais paysages typiques
et la richesse des collections publiques normandes.
En résumé, il y a là une
belle carte de visite laissée !
HP : à
votre avis, que représente notre région pour les japonais ?
AH : ah!
Vous ne pouvez pas vous y imaginer à quel point ils sont fous de
Normandie !! La Normandie résonne de toutes sortes de fantasmes ! Par
exemple, j'ai vu des publicités japonaises qui prenaient en référence le Mont
Saint-Michel pour promouvoir une recette aux œufs car, pour eux, le Mont
Saint-Michel, c'est également les plaisirs de la table avec la fameuse Mère Poulard !
HP : très
étonnant à nos yeux...
AH :
oui, oui ! Et lorsque mes deux homologues directeurs des Musées de Tokyo
et de Hiroshima, Madame Shôko KOBAYASHI et Monsieur FURUTANI, sont venus en
France au printemps afin de procéder à des repérages, ils ont découvert des
paysages exotiques pour eux. Je les entendais s'exclamer devant des chênes, des
hêtres ou des coquelicots et ils prenaient tout ce qu'ils pouvaient en
photo ! Et des données purement physiques : je les ai vu s'arrêter
net sur les falaises qui dominent l'estuaire et trouver que Le Ciel était ici
immense !
HP : … ?
AH :
car ils n'ont pas le même ressenti. Le Japon est une île volcanique et il y a
toujours une nature préservée avec des montagnes abruptes qui empêchent toute
implantation humaine ; une nature hostile ! Et des forêts sombres,
noires, impénétrables, pleines d'esprits... Leur ciel est toujours coupé par
cette nature.
HP : et
quid de l'étape en Corée ?
AH :
les Coréens ont une approche différente. Déjà, ils se sont entichés de CORCOS ;
ils vont en faire leur œuvre phare (Vittorio CORCOS -1859/1933 - est un peintre
italien portraitiste mondain, à rapprocher de Ernest-Ange DUEZ ; la toile
de DUEZ, prêtée par le Musée de Rouen, bénéficie d'un accrochage de choix au
SOMPO - ndlr) ! Vous avouerez que CORCOS, prêté par Honfleur, n'est
pas l'artiste le plus célèbre du catalogue !
Vittorio CORCOS |
Ernest-Ange DUEZ |
HP : les
collections du Musée des Beaux-Arts du Havre ne renferment pas, à ma
connaissance, de peintres de l'École de Rouen...
AH :
non, mais en fait, pas beaucoup non plus de vues du Havre et même de Normandie.
Cela tient à nos collectionneurs donateurs (Edouard SENN et Charles-Auguste
MARANDE, membres du Cercle d'Art Moderne du début du XXème siècle
NDR) qui n'ont ni "acheté du Havre" ni "acheté de
la Normandie" !! Nos collectionneurs-donateurs sont des horsains.
Par exemple DUFY n'a pas été acheté par nos collectionneurs et même les MARQUET
sont des vues parisiennes. Ils n'avaient pas d'ancrage havrais, même si ils
étaient partie prenante dans les décisions locales. Ils ont juste acheté BOUDIN
et des Ports du Havre par PISSARRO. Ils se sentaient affranchis
d'un quelconque héritage régional.
HP : quels
sont vos projets ?
AH :
notre projet à court terme porte sur Eugène BOUDIN, dans le cadre de Normandie
Impressionniste 2016. Et puis, notre projet d'importance, en
2017, correspond au 500ème anniversaire de la création de la
ville du Havre.
A savoir également que
SAINT-DELIS n'a jamais été travaillé...
J'ajouterais que ce genre
de collaboration Muma – AER pour cette exposition japonaise, a permis de nous
rencontrer, et de mieux connaître et faire connaître l'École de Rouen.
Je sais que Sylvain AMIC
(Directeur du Musée de Rouen NDR) présente actuellement une expo sur Pierre
HODÉ. Nous avions un Port de Dieppe de HODÉ au Musée de Calais
lorsque j'en étais le Conservateur. C'est un très bel artiste.
Propos recueillis
par Hubert PRIAUCEY.
Nous
remercions également Mme HAUDIQUET pour ses clichés du Japon.
Mode Gakuen Cocoon Tower, Shinjuku, Tokyo |