Joseph DELATTRE
une œuvre, une histoire par Brice Aurpeuthy et JACBA
QUI : Joseph DELATTRE (1858-1912)
QUAND : Automne 1894
QU’ EST-CE : Auvers-sur-Oise
(huile sur toile, coll. part.)
COMMENT : Joseph
Delattre vient de rencontrer un amateur, Jérôme Doucet, qui devient son mécène
en lui allouant une ‘rente’ de 3 francs par jour contre une partie de sa
production. Doucet est le gérant de L’Hôtel du Dauphin et d’Espagne, sur les
quais de Rouen, dont le propriétaire n’est autre que le célèbre mais facétieux
collectionneur des premiers jours des Impressionnistes, Eugène Murer. Ce
dernier expose de nombreuses toiles de sa collection (notamment Renoir) dans la
salle de restaurant de l’hôtel !
C’est ainsi que Delattre fait un séjour à Auvers-sur-Oise,
chez Murer, dans la demeure bourgeoise qu’il a fait construire en 1881, et que
son voisin, le fameux Docteur Gachet (Cf. l’excellent article de Jacba)
surnomme sarcastiquement : Le Castel du Four, en rapport avec la fortune
provenant de la Pâtisserie que Murer exploitait à Paris. Sur place, il en profite
pour rendre visite au Dr. Gachet et découvre, accrochés non loin d’une belle
collection de Pissarro, des Van Gogh qui le laissent pantois…
Mais laissons raconter Joseph Delattre (lettre à Angrand
datée du 14 décembre 1894) : « …Je viens de passer trois
semaines à Auvers-sur-Oise et me suis là consciencieusement occupé. Je suis
descendu chez un ami rencontré ici à Rouen et qui s’intéresse beaucoup à moi.
Murer est un des premiers amateurs qui ont osé acheter, à l’époque difficile,
des Pissarro, Sisley, Renoir, Monet, Cézanne, etc…
Quand tu viendras à Rouen, je te montrerai les toiles que possède ce brave et bon ami […]
A Auvers, j’ai rencontré le Docteur Gachet qui, je crois, est des vôtres aux Indépendants et que tu dois connaître. Chez lui, j’ai vu quantité de Van Gogh véritablement intéressants : plusieurs paysages et deux enfants en plein air m’ont surtout enthousiasmé, par le défini de l’expression. Oh ! Évidemment, pas le modelé – très vitrail, très cloisonné – mais modelé à sa façon tout de même. »
La construction de notre toile est classique et très
structurée, avec la masse colorée du feuillage de l’arbre à gauche qui encadre
en partie la composition et procure un ‘effet repoussoir’, amenant toute la
profondeur. Le personnage, quant à lui, donne l’échelle. Alternance de plans
vert-prairie et ocres dans la première partie de la composition qui se ferme
par celui coloré des habitations.
La touche est fine et totalement divisée, dans un style très
Pissarro, et un motif que le Patriarche ne renierait pas !
Brice
AURPEUTHY
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Camille PISSARRO - Auvers sur Oise - METRO NY |
A propos du "bon Docteur GACHET"...
Fils de filateur
lillois, Paul Ferdinand GACHET (1828-1909) entreprend des études de médecine à
Paris, qu’il achève à Montpellier par une thèse « étude sur la
mélancolie » en 1858. Il revient l’année suivante à Paris.
Spécialisé en « maladies nerveuses », il donne des cours
d’anatomie artistique à l’école de dessin de son quartier et s’installe en 1872
à Auvers-sur-Oise où DAUBIGNY séjourne déjà et rencontre la famille PISSARRO
qui réside à Pontoise.
Camille PISSARRO,
dont il soigne les enfants, le met en contact avec GUILLAUMIN et CEZANNE (qui
passe toute l’année 1873 à Auvers), lui permettant de pénétrer le cercle
impressionniste et d’approcher de nombreux artistes, MANET, MONET, RENOIR...
Agité excentrique,
compensant ainsi des qualités artistiques médiocres de dessinateur,
collectionneur compulsif de choses de peu d’intérêt, il sera à peine remarqué
malgré ses efforts.
Au début de l’année
1890, Théo VAN GOGH demande au docteur GACHET de s’occuper de son frère Vincent
afin que celui-ci puisse sortir de l’asile psychiatrique de Saint-Rémy-de
Provence.
C’est pendant le mois
et demi qu’il passa auprès du « bon docteur », de son fils Paul et de
sa fille Marguerite que Vincent VAN GOGH peignit son portrait le 2 ou 3 juin
1890. Il le représente accoudé à une table vermillon, coiffé de sa casquette
avec « l’expression navrée de son temps ».
Le Docteur GACHET ne
reverra Vincent que lorsqu’il fut appelé à son chevet fin juillet après sa
tentative de suicide d’une balle dans le cœur mais ne fit rien pour le sauver.
Le tableau du
portrait du docteur GACHET appartenait à Théo VAN GOGH. Passé de mains en mains
entre 1890 et 1990, il a été acquis pour 82,5 millions de Dollars par un
collectionneur japonais lors d’une vente chez Christie’s New York le 15 mai
1990.
Il existe une
réplique (superbe) de ce chef d’œuvre conservée au Musée d’Orsay.
Selon le fils du
docteur GACHET qui l’avait offerte au Louvre en 1949, elle aurait été réalisée
début juin 1890, mais l’identité de son auteur demeure un mystère…
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Vincent VAN GOGH - Docteur Gachet - huile sur toile - 64,5x55,8 collection privée Japon |
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Vincent VAN GOGH - Docteur Gachet - huile sur toile - 68x57 musée d'Orsay - Paris |
JACBA